Penser, parler avant d’écrire : en mathématique aussi

   Les réglettes de Cuisenaire, sont une voie royale vers l'abstraction et la découverte des nombres. Elles sont de plus, un support qui favorise l’utilisation tout à fait indispensable du langage. Cela peut paraître paradoxal, mais sans langage, pas de mathématiques : voici pourquoi il est essentiel de verbaliser les mathématiques. Avant de vouloir écrire.

Mathématique : parole d’abord, écriture ensuite

On pourrait à ce sujet, reprendre la formule de Nicolas Boileau à propos de l'art poétique :

« Avant même que d'écrire, apprenez à penser [...] »

Plaisir des nombres - écrire en mathématique. La première écriture connue :  cunéiforme

La première écriture connue - cunéiforme - apparaît en Mésopotamie plusieurs dizaines de milliers d'années après l'apparition des premières sociétés humaines

   L'écriture n'est pas une fin en soi, elle doit être mise au service de la pensée. C'est-à-dire que la formation d'une idée est absolument préalable à la formation d'un symbole pour écrire cette idée. En fait, elle est même préalable à l'exposé de cette idée à l'oral : il faut bien d'abord qu'une idée soit formée, pour qu'on puisse la dire et ensuite la coder par écrit pour la transmettre.

Parce que l'écriture est essentiellement une affaire de communication, de transfert, de transmission, il est tout à fait indispensable de savoir quoi transmettre avant de le transmettre !

L'ordre d'apprentissage

   En fait, la communication écrite est apparue très longtemps après la communication orale chez les humains, plusieurs dizaines de siècles même. Il y a sûrement une raison à cet ordre d’apparition. Et il n’est pas vain de penser que cette raison est toujours existante. D’ailleurs, c’est ce qui s’observe facilement lors du développement des jeunes enfants.

C'est ainsi que nos apprentissages naturels suivent encore cet ordre : d’abord il faut qu'une idée apparaisse, qu'une pensée se forme, par la curiosité ou par une stimulation. Vient ensuite le besoin de donner un nom à chaque chose ou idée, c’est ce qui permet la transmission orale. L'oralité a d'ailleurs été la base des progrès de l’humanité pendant quelques millénaires durant lesquels l’immense majorité des humains ne savait pas écrire, ni lire.

   Le fait de parler d'une idée ou d'un objet permet de mieux saisir de quoi il s'agit. C'est pourquoi la parole est si importante et accompagne le développement du cerveau humain. La parole, le verbe est la voie idéale vers l'assimilation d'une idée au point de savoir exactement comment et quand l’utiliser.

Plaisir des nombres - écrire mathematiques selon les languages   Ce codage dépend des langues, des populations, des lieux et des temps. Une grande variété existe mais le besoin de parler d’une idée ou d’un objet reste le fondement de l’oralité et la première étape, avant l’écriture. Le fait de parler d'une idée, de la décrire, de vouloir la transmettre, affine cette pensée, oblige à la préciser et permet de se l'approprier complètement. Et c'est cette compréhension qui est recherchée dans l'apprentissage.

Mathématiques et art poétique, même démarche

Comme l'a si joliment énoncé le poète Nicolas Boileau :

« Ce que l'on conçoit bien s'énonce aisément,
Et les mots pour le dire arrivent aisément »

  C'est-à-dire que ce va-et-vient régulier entre la pensée et la verbalisation de cette pensée est constructif, et constitutif de cette pensée même. Cette verbalisation est donc essentielle, elle aide une notion à se préciser, à s'ancrer, à être assimilée. Cette assimilation est la base de tout le reste. Pour la raison simple que si une idée ou une notion est clairement intégrée, elle sera utilisée judicieusement, même si on ne sait pas l'écrire.

  Mais le contraire n’est pas possible. On peut savoir écrire une relation mathématique ou un mot en français, mais si l'on ne comprend pas l'idée ou la notion qui est traduite, cette idée, cette notion sera inutilisable. C'est pourquoi le stade de l'écriture intervient après. L'écriture est comme une traduction de notre pensée avec des symboles : des lettres en français, des signes et des chiffres en mathématique. Par conséquent, on peut commencer à écrire lorsque ce que l'on veut transmettre est clairement compris et verbalisé.

La dernière étape étant nécessairement la lecture.

Les mêmes étapes pour tous les apprentissages

 Quelque soit l’apprentissage que l’on effectue, ces étapes sont toujours présentes, dans cet ordre, inévitablement :

une idée se forme → elle se dit avec des sons/mots → elle s’écrit avec des lettres/symboles → elle se lit (déchiffrement des symboles)

  Bien sûr, à un certain niveau, en langage ou en mathématique, l’écriture va participer à la découverte d’autre chose. D’autres objets mathématiques ou d’autres formes langagières. En fait, une fois que les principales idées de base sont claires et assimilées, elles peuvent être écrites. Et leurs écritures vont participer à la création de nouvelles idées. Qui doivent être d’abord travaillées, réfléchies, comprises, assimilées - ce qui se fera plus facilement et plus rapidement en les verbalisant - puis codées à l'écrit… Et ainsi de suite...

   Aussi, un enfant peut n'avoir rien à écrire s'il est en phase de découverte. Il est alors en train de former une idée, d’assimiler une notion. Par exemple, un enfant habitué à peindre peut s’être fait une idée précise des couleurs qu’il veut utiliser. Sans pour autant connaître les mots qui « codent » ces couleurs. Il les apprendra lorsqu’il aura besoin de communiquer. Et il saura les dire avant de savoir comment les écrire. De la même manière, un enfant peut savoir additionner deux nombres entiers et avoir compris dans quelles situations c'est utile, même sans savoir écrire le signe « + ». Le contraire n’est pas possible.

En mathématique aussi, naturellement

   Eh bien, respectons cet ordre d’apprentissage en mathématique aussi.

   Pour les mathématiques, la transmission écrite s’est faite en deux temps. Tout d’abord, cette transmission s’est faite à l’écrit uniquement par des phrases, sans symbole. Pendant des siècles. Puis petit à petit, à partir du milieu et de la fin du Moyen-Âge, les chiffres et les symboles sont inventés pour simplifier cette transmission écrite. Ces inventions ont pris du temps elles aussi, quelques siècles. Enfin aujourd’hui, les symboles ont fini par être unifiés, acceptés, identiques pour tous les mathématiciens.

   Ainsi, il n’est pas judicieux de vouloir à tout prix faire écrire un enfant lorsqu’il aborde une nouvelle notion. Faisons-le parler d’abord. C’est essentiel. Pour l’apprentissage avec les réglettes de Cuisenaire, cette phase orale est favorisée par le matériel, voir cet article.

   Alors, ne nous précipitons pas sur l’écriture avec des chiffres et des symboles. Assurons-nous d’abord que l’idée étudiée est bien comprise. Si c’est le cas, alors, l’enfant peut en parler et décrire ce qu’il fait. Ensuite, il la traduira à l'écrit.

D'ailleurs...

Quelles sont les recommandations du Conseil National d’Évaluation du Système SCOlaire, CNESCO, lors de la dernière conférence sur la numération ? Entre autres : S’appuyer sur l’oral avant de passer à des écritures symboliques  ! Oui, bien sûr... Je suis bien d'accord...

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