Lorsque vous interrogez un élève quelque soit son niveau - faite le test autour de vous – sur une notion particulière vue en classe, pour savoir s’il l’a comprise, il répondra sûrement : « oui, ça va ». Ou quelque chose d’approchant. Et même s’il est possible que certains enfants répondent qu’il n’ont pas bien compris, ne nous mentons pas, ce n’est pas la majorité, ni même leur premier réflexe.
Sommaire :
Oui, oui, ça va !
Bien, alors, puisque « ça va », on est tenté d’en demander un peu plus… Disons : « alors, qu’est-ce que c’est que … ? » Remplacez les pointillés par le théorème de Thalès, la divisibilité, la résolution d’équation, la symétrie…
Ce que vous voulez finalement, car la constatation est toujours la même : ils ne peuvent rien définir, ni le principe, ni le contexte, rien expliquer, encore moins démontrer quoi que ce soit… Tout au plus la réponse standard passe par un exemple, souvent celui donné en cours, parce qu’ils n’en trouvent pas d’autre.
Petit dialogue naïf (testez-le)
Voici le type de dialogue assez typique que l’on peut avoir à ce propos (véridique, bien entendu) :
- - Te souviens-tu du théorème de Thalès ?
- - Oui, on l’a vu l’année dernière et on vient juste de le réviser cette semaine.
- - Ah ! Tant mieux ! Et donc, qu’est-ce que tu peux m’en dire ?
- - Heuh… qu’est-ce que je peux en dire ?
- - Oui, qu’est-ce qu’il dit ? … Tiens, par exemple, déjà, dans quelle situation peut-on l’utiliser ?
- - Bin, c’est quand il y a un triangle dans un autre triangle (avec une voix mal assurée).
- - Ah ? Bon, alors, dans cette figure, par exemple, on peut l’utiliser ?
- - Euh… non, pas comme ça.
- - Bon, alors dessine moi tes deux triangles.
L’élève dessine le seul cas qu’ils ont vu qui est un cas particulier, ce qui ne permet aucune généralisation : deux triangles ayant le même sommet et dont les arêtes opposées à ce sommet commun sont parallèles.
- - Et alors, du coup, que dit le théorème de Thalès ?
- -…
- - Disons, à quoi ça sert ?
- - À trouver une longueur quand il en manque une…
- - Quand il en manque une ? Ah ? Bon, et laquelle ?
- - Bin…
Bon, arrêtons-nous là, car le dialogue peut durer autant que la patience du maître et l’endurance de l’élève.
Serait-ce dû aux individus ?
Que se passe-t-il alors ? Pourquoi affirmer que l’on comprend, si ce n’est pas le cas ?
Des parents agacés pourraient l’expliquer par la mauvaise foie ou la vanité d’un enfant : il ne voudrait pas reconnaître ses tords ou son ignorance et préfère avoir toujours raison. Les enfants un brin rebelles ressentent très vite la question comme un manque de confiance, une sorte d’accusation, voire même un test impromptu. Ils s’embrasent aussitôt et veulent (se et vous) persuader que tout va bien.
Ou bien encore par le poil – voire la poutre – qui se loge au creux des mains des écoliers, peu habitués et encore moins enclins au moindre effort : mieux vaut dire que tout va bien, les parents sont rassurés, et j’ai la paix ! Sinon, faudra que j’aille réviser…
Mais aussi, par la volonté bien inconsciente de faire plaisir à ses parents en « sachant des choses ». Ça rassure...
Disons-le tout net, toutes ces possibilités se retrouvent très probablement, à des doses diverses. Mais attention ! Elles ne sont que l’enrobage...
Un leurre constamment agité
Oui, c'est ainsi - et pas uniquement dans l'apprentissage des mathématiques : l'individu serait l'unique source de sa réussite ou de son échec...
Car en effet, ces différentes raisons ne relèvent presque que de l’individu – un élève de mauvaise foie, paresseux, ou craintif… Mais comment expliquer alors la généralisation de ce phénomène à toute une classe d’âge ? À tous les niveaux scolaires ? À toutes les catégories sociales ?
Je redis, naturellement, l’observation citée en introduction : un élève quelque que soit son niveau. C’est-à-dire aussi jusqu’au bac, soit après 12 années de cours.
Arrêtons de se voiler la face pour maintenir opérante une magie qui fait plaisir à tout le monde : non, la raison profonde c’est qu’il répond comme ça parce qu’il croit en toute bonne foi savoir. Il croit sincèrement qu’il sait. Et il ne se pose pas la question, et l’école non plus et les adultes non plus : « qu'est-ce que je sais vraiment ? ».
Pourquoi ne se la pose-t-il pas ?
Alors votre enfant ne peut pas savoir qu'il ne sait pas. Et comme il a une bonne note ou une pastille verte, il fait confiance aux adultes, il croit qu'il sait...
C’est le triste résultat d’une illusion entretenue
Et c’est malheureusement le lot de TOUS les enfants, c’est pourquoi, il faut s’interroger sur l’institution scolaire et non pas sur tel ou tel individu.
Alors, mauvaise nouvelle : même si un enfant paraît bon à l’école, n’a que des petites pastilles vertes sur son cahier, collectionne les notes au-dessus de 15/20, même cet enfant-là risque fort de sortir de l’école avec de la poussière dans la tête.
À moins qu’il n’ait l’immense chance d’avoir un entourage familial qui comble les lacunes, consciemment ou pas : on sait aujourd’hui que l’école française est la plus inégalitaire de tous les pays de l’ocde. Cela signifie clairement que l’entourage des enfants joue un rôle plus grand dans leur instruction que l’école elle-même.
L’école aujourd'hui, créatrice de l’illusion du savoir
J’exagère ? C’est n’importe quoi ? Hélas ! Mille fois hélas… Voyez ici une réflexion à ce sujet.. Ainsi, sans s’étendre sur ce sujet, le résumé est donné par le préambule du rapport Villani-Torossian en 2018. Cédric Villani étant un mathématicien médaillé de haut niveau, député et observateur :
« Les résultats sont catastrophiques [...] »,
Ce mathématicien n’est pas le seul : Laurent Lafforgues aussi déclare :
« La compréhension, l'intérêt, mais aussi la disponibilité pour le travail long et complexe sont en baisse de façon spectaculaire. »
Si cela était besoin, petite explication de texte, et quelques précisions.
Mais vous vous dîtes sûrement, comme la plupart des parents que je rencontre :
- J’ai de la chance, mes enfants sont bons élèves ;
- Certains enfants sont en grande difficulté, mais ça vient de leur niveau social, les parents démissionnent ;
- De toute façon, il y a toujours une certaine proportion de mauvais élèves…
Si vous avez une de ces idées, alors, attention... vous nagez peut-être en pleine illusion…
Mais... sommes-nous les seuls dans cette illusion ?
Et bien, disons-le, non, pas du tout ! Nous sommes même très nombreux, malheureusement. Car en effet, même le ministre de l’éducation a bien le culot d’écrire dans sa circulaire de la rentrée 2021 :
« Les enquêtes internationales comme nationales avaient en effet montré une baisse régulière des élèves en français, ainsi qu'en mathématiques depuis 25 ans. »
et plus loin
« Or, 50 % des élèves entrent en 6e sans savoir lire de manière fluide à l'oral. Il nous appartient collectivement de redonner le goût de la lecture[…]. »
sans trouver rien à redire au titre de la section 1 : « L'École de la République, lieu d'apprentissage au service de la poursuite de l'élévation du niveau général ».
C’est ça la base de l’illusion : l’instruction n’est pas bien performante et le niveau en baisse, mais on préfère (r)assurer que « le niveau monte »... Et le niveau de quoi ? D'instruction, bien sûr : les élèves aussi le croient...
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