L’illusion du savoir, parlons des compétences, suite et fin

Cet article est le troisième concernant l'illusion du savoir générée par l'école aujourd'hui : voyez le premier d'abord, et le second ensuite, si besoin. Cet article présente, après avoir vu les principaux mécanismes à l’œuvre depuis quarante ans ou plus, le rôle de l'idéologie des compétences. Bien sûr, l'analyse de ce sujet demanderait beaucoup plus de place et de temps.

Résumé des précédents

   Alors, vous pouvez tester très simplement un petit dialogue, comme celui présenté dans le premier article. Ou bien encore faire ce teste simple : votre enfant vous dit qu'il connaît sa leçon, qu'il l'a revu. Bien, demandez-lui alors (selon son niveau) de vous parler de ce qu'il a vu en mathématique, en français et dans une autre matière... Comprenez-vous ce qu'il vous dit ? Est-il capable de vous présenter les dernières leçons de façon claire et surtout précise ?

   Malheureusement, les élèves croient savoir mais ne savent pas en proportion de ce qu'ils pourraient réellement avoir appris...

   Nous avons vu les différents mécanismes qui produisent cet effet pervers. Entre autre, la massification qui apporte une très grande inhomogénéité initiale, la réduction constante des moyens disponibles, les programmes sont considérablement allégés, dilués par l’ajout constant de nouvelles thématiques et le temps d’apprentissage est drastiquement diminué - les élèves perdent un an complet sur les cinq premières années. Bon, ça fait déjà beaucoup…

Plaisir Des Nombres - Illusion du Savoir - Que sont vraiment les competences

Et un jour vinrent les compétences

   Mais ce n’est (malheureusement) pas tout. Depuis les années 90, l’Éducation nationale française s’est engouffrée dans une idéologie que certains disent « libérale » en provenance directe des états-unis : l’APC ou apprentissage par compétences.  C’est la tendance très générale - car l'Europe y pousse très fort - à la fin du XXiè siècle : « La finalité principale de notre enseignement est donc désormais de faire de nos élèves des individus capables d’accomplir des tâches. ».

   Ce qui est amusant, c'est que dans les nouveaux contrats pour l’école de 1994, cette notion est utilisée pour parler des « compétences disciplinaires » des enseignants – et pas des élèves – ainsi que les « compétences des inspections ». C’est un des sens du mot compétence en français : « Aptitude d’une autorité publique à effectuer certains actes » (Larousse encyclopédie).

    Mais parallèlement, le sens évolue dans les discours. On parle plutôt des compétences des élèvesCe qui se référerait alors peut-être à l’autre sens de ce mot en français : « Capacité reconnue en telle ou telle matière en raison de connaissances possédées et qui donne le droit d'en juger ».

    Mais non, pas exactement. Même pas du tout. Imagine-t-on bien les élèves ayant des « capacités reconnues » dans les différentes matières et qui seraient donc « en droit d'en juger » ??

Allons donc ! Ce doit être autre chose...

   Et en effet, cette notion a été introduite comme une traduction directe du mot anglais « competence ». De ce fait, et comme il ne suffit pas d'importer un mot, pour bien saisir le concept qu'il désigne, il y a une grande confusion pendant plus de vingt ans. Tant en Europe - il y a encore des clarifications nécessaires en 2017 - que chez les francophones outre-Atlantique qui précise, encore, les définitions possibles, encore en 2015. Soit trente ans après la transformation de l'école des savoirs en l'école des compétences...

   Il s’agit donc d’inventer un sens nouveau à un mot qui par ailleurs existe déjà dans la langue française mais avec un autre sens

Si compétences est un mot nouveau : concept nouveau ?

    Finalement et concrètement qu’est-ce que l'école doit donner ? Et bien, il a fallu plancher sur la question, parce que chacun y va de sa définition… Et bien sûr, si ceux qui l’introduisent à marche forcée ne savent pas la définir précisément, que deviennent les enseignements dans tout ça ?

Par exemple, lacadémie de Grenoble explique :

« Une compétence consiste en la mobilisation d’un ensemble de ressources diversifiées internes (connaissances, capacités, habiletés) et externes (documents, outils, personnes) renvoyant à la complexité de la tâche et au caractère global et transversal de la compétence. ».

   Avec cette définition, est compétent qui est capable d'aller trouver son prof (ressource externe personne) pour lui poser une question... On atteint des sommets en terme de niveau d'instruction...

Concept flou mais imposé

    Et la définition finalement adoptée par le parlement européen, le 26 septembre 2006 (cette notion de compétence sévit depuis plus de vingt, une génération...) est la suivante :

« Une compétence est une combinaison de connaissances, d’aptitudes (capacités) et d’attitudes appropriées à une situation donnée. Les compétences clés sont celles qui fondent l’épanouissement personnel, l’inclusion sociale, la citoyenneté active et l’emploi ».

Il est clair que les savoirs n'entrent pas dans la définition européenne des compétences. Et pour cause, la définition synthétise finalement le domaine scolaire et le domaine de la formation professionnelle... Utilité, utilité...

Pourtant, la définition des programmes scolaires français est légèrement différente :

« Chaque grande compétence du socle est conçue comme une combinaison de connaissances fondamentales pour notre temps, de capacités à les mettre en œuvre dans des situations variées mais aussi d’attitudes indispensables tout au long de la vie, comme l’ouverture aux autres, le goût pour la recherche de la vérité, le respect de soi et d’autrui, la curiosité et la créativité. »

    Qu’on ne dise pas que l’école n’est pas ambitieuse ! Ainsi, l’ouverture aux autres serait une compétence enseignée à l’école… On dirait la rubrique « mes passions » du CV… La curiosité serait aussi une compétence enseignée… Bigre ! On comprend mieux qu'il y ait moins de temps pour apprendre à lire, écrire et compter...

Plaisir des nombres - Illusion du savoir et compétences - Évolution de la prise en considération des compétences

Oublions ce qui n'est pas utile pour notre temps

   Notons bien le complément « pour notre temps » dans la définition. Ainsi, connaître les nombres et maîtriser les quatre opérations et les fractions n'est plus une connaissance de notre temps, puisqu'on nous répète depuis les années 80 que les calculatrices font mieux et plus vite. Maîtriser les règles de l'orthographe et de la grammaire ne sont plus non plus des connaissances fondamentale pour notre temps, puisque les correcteurs automatiques s'en chargent...    

Concrètement... Concrètement...
Par conséquent, il est important de garder en tête en posant son enfant le matin à l’école qu’il peut bien avoir toutes ses pastilles vertes ou des bonnes notes : il ne saura néanmoins toujours pas les savoirs qui sont jugés inutiles pour notre temps… S’il est curieux, ouvert, créatif, respectueux et gentil sans savoir lire et encore moins écrire, il validera quand même ses compétences.

L’institution aujourd’hui mise explicitement sur l’utilité

   D'après une inspectrice d'Académie, les compétences furent introduites dans l'enseignement - ou plutôt la transmission des savoirs transformée en formation à des compétences - à partir du constat que des étudiants en médecine malgré leur très bon niveau théorique ne devenaient pas de bons médecins, ne savaient pas appliquer leurs connaissances... Alors l'idée a germé qu'il serait plus efficace de former aux compétences attendues (celle de trouver le bon diagnostic par exemple) plutôt que de perdre son temps - et de l'argent - à transmettre les savoirs théoriques sur le corps, la santé, les maladies...

   Ainsi, l'enseignement devenait efficace... efficient... disons-le : rentable. Du moins, l'espérait-on.

Marcel Crahay, fervent défenseur de l’approche par compétence, en revient pour la combattre depuis 2005 : « La logique de la compétence est, au départ, un costume taillé sur mesure pour le monde de l’entreprise. ». L’objectif que l’approche par compétence donne à l’éducation est manifestement celui de la productivité : l’élève, à travers sa capacité à accomplir des tâches doit, en quelque sorte, prouver son « utilité ».

   Cette approche renverse le sens de la transmission scolaire : d’une instruction qui pouvait encore être pensée au service de la personne - l'instruction qui élève, qui épanouit, qui développe le sens critique - on passe à une formation au service de la société, à l'apprentissage de savoir-faire, de technicités utiles à des emplois ciblés. On retrouve d'ailleurs dans les discours une similitude étrange avec la formation professionnelle. C'est sûrement pourquoi, les discours reprennent les termes « d'usagers », de « services aux élèves », de « services aux parents », de « professionnalisation » des enseignants, de « bilan de compétences » comme pour les chômeurs ou ceux qui se reconvertissent...

Plaisir des nombres - Illusion du savoir et compétences - des mots clés

Les compétences exigent un enseignement contextualisé

   Alors, on apprend maintenant (depuis vingt ans quand même) à tous les niveaux des compétences plutôt que des savoirs : « Enseigner les maths ne consiste plus à donner des outils pour faire des maths, mais à faire des maths un outil pour résoudre des problèmes » (Manuel Enseigner les maths au CE, 2016). Lesdits problèmes provenant de tous les domaines présents à l'école. Problèmes, tous plus artificiels les uns que les autres pour les élèves, mais tirés de « la vie économique » : telle entreprise vend 12 % de plus telle année (on apprend la formule 0,12\timesprix), telle autre vend tous les ans 15% de plus (on apprend la formule u_{n+1}= 1,15u_n), telle autre produit un médicament dont le principe actif est dilué à 20% (formule de la dilution)...

   Les problèmes sont d'ailleurs tellement contextualisés, que l'on se demande parfois si les manuels scolaires ne sont pas reconvertis en catalogue pour futurs consommateurs...

   Cette approche fait dire à certains que les gouvernements successifs ont soumis volontairement ou pas, l'institution scolaire à une idéologie libérale et marchande. Celle-ci rejetant la culture comme ne produisant pas de profit. Mais en revanche, cherchant à pénétrer le domaine scolaire car d'énormes profits l'y attendent. Cette lettre ouverte de cadres de l'institution en dit long sur l'état de l'école...

    Chacun jugera si cette analyse a de la valeur ou pas pour expliquer l'évolution du système scolaire. Toujours est-il que la dominante à l'école réside dans les savoirs-faire, les techniques, « procédures automatisées », et autant que possible dans des contextes marchands actuels...

Les conséquences des compétences

Mais en fait, l'apprentissage par compétences est-il positif ? Ou pas ?

  Ce qui s’observe dans les progressions des enseignements, c’est un renversement des priorités : pour être compétent, il faut savoir (par exemple) manipuler des fractions. Alors, on n’apprend pas la notion de fraction et ses propriétés pour s’émanciper, pour comprendre les liens avec les autres opérations, les équations ou autres. On apprend les techniques qui permettent d’appliquer les opérations sur les fractions, dans le cadre d’une compétence définie, d’une production quelconque, d’une « activité pédagogique ». On apprend les « trucs » qui permettent d’opérer sur les fractions. Mais pas pourquoi c’est comme ça. Ni d’où viennent ces propriétés.

    Ça restreint évidemment considérablement la compréhension. Disons même que ça l'empêche. Dans ce cadre, aucun lien ne peut être fait avec les nombres, les figures géométriques ou autres notions mathématiques déjà vues (à supposer qu’il y ait eu le temps de les voir).

    Prenons un autre exemple, celui des proportions. Les élèves apprennent à reconnaître « une situation de proportionnalité » (ce qui ne veut rien dire, soit dit en passant), à calculer un des termes manquants. Mais ils ne savent pas le lien que les proportions entretiennent avec les rapports, ce que sont les rapports et comment les exprimer en mathématiques, quels liens les rapports ont avec les fractions, ni avec les fractions équivalentes, ni avec la division, ni la multiplication, ni ce que sont des grandeurs proportionnelles… (faites le test avec votre enfant…).

Informations contextualisées, ponctuelles mais pas de généralisation ni de lien ...

   Dans le meilleur des cas - disons avec les meilleurs élèves - ils sauront par contre reconnaître si dans un tableau on peut passer d'une cas à l'autre en multipliant par un nombre (entier ou décimal simple, pas plus). Ou si une la représentation graphique d'une fonction est celle d'une « situation de proportionnalité ». Mais ne sauront pas définir ce qu'est la proportionnalité, ou deux grandeurs proportionnelles... Et pourquoi une droite passant par l'origine représente la proportionnalité entre deux grandeurs...

   Alors, ils savent appliquer une technique de calcul ou de repérage graphique, mais ne peuvent pas deviner d’où vient cette technique. Ce qu’ils apprennent deviennent alors des informations et non plus des savoirs maîtrisés, des savoirs orphelins, non reliés entre eux, raccrochés à rien.

Plaisir Des Nombres - Illusion du Savoir et compétences - Ce que sont les savoirs orphelins ou inforamtions

   Et sans lien, pas de compréhension ni de réflexion, alors, pas d'émancipation possible. Les élèves reçoivent une succession d'informations, qu'ils ne peuvent pas classer, hiérarchiser, analyser, relier... Ils ne sont pas entraînés à généraliser, à regrouper ce qui est similaire, ni à choisir parmi leurs connaissances celle(s) qui leur sont utiles dans une situation donnée. Puisqu'ils ne travaillent que sur des situations particulières, précisément, le fameux « contexte » très cher aux enseignants et manuels scolaire. Donc trop souvent les élèves ne démêlent pas l'important du superflu , le nécessaire de la fioriture décorative...

    La conséquence est qu’ils doivent retenir beaucoup d'informations disparates. Ce qui donne un gros catalogue de techniques, de « trucs » qui « tombent du ciel »…

Des maths magiques...

    Et pour un grand nombres d’élèves, les mathématiques deviennent magiques, incompréhensibles. Le français devient barbant et pénible avec toutes ses exceptions, qui n'ont pris aucun sens au fil de leur scolarité

Ce qui rend extrêmement difficile, au bout de plusieurs années de cet entraînement :

  • de comprendre les notions fondamentales pour elles-mêmes, en-dehors d’un contexte concret particulier. Et donc encore moins de savoir les utiliser à bon escient ;

  • d’avoir un intérêt quelconque pour des catalogues plus ou moins fournis de règles, de formules, de trucs qui n'ont pas de sens intelligible.

Analyse et témoignage

Ainsi, comme l'écrit Rudolph Bkouche, déjà en 2015 :

« Il faut reconnaître que la façon de répéter « faire des mathématiques, c'est résoudre des problèmes » a eu un effet néfaste. D'une part on a oublié de préciser de quels types de problèmes il s'agit, d'autre part on a négligé qu'une science, et pas seulement les mathématiques, est une mise en ordre d'un ensemble de connaissances et que c'est cette mise en ordre qui permet de résoudre des problèmes. Il ne s'agit pas d'accumuler des méthodes qui apparaîtront comme un ensemble de recettes, mais de définir des méthodes à partir d'un corpus cohérent de connaissances. Les connaissances ne sauraient se réduire à un ensemble de trucs permettant de répondre à des questions. »

   C'était vrai en 2015, ça l'est toujours en 2021. Ainsi, les programmes 2021 précisent-ils dans la partie Mathématique du cycle 4 : « Une place importante doit être accordée à la résolution de problèmes. Mais pour être en capacité de résoudre des problèmes, il faut à la fois prendre des initiatives, imaginer des pistes de solution [...]. Ceci suppose de disposer d’automatismes (corpus de connaissances et de procédures automatisées immédiatement disponibles en mémoire)[…] »

   Ainsi, il faut simplement le savoir :

Concrètement... Concrètement...
En posant son enfant le matin à l’école, sachez qu’on lui demande de prendre des initiatives, d'être créatif de connaître sa liste de procédures automatiques... Mais pas de savoir maîtriser de quelconques savoirs fondamentaux. Il aura donc des pastilles vertes ou des bonnes notes, même si la lecture, l'écriture ou le calcul lui sont encore difficiles...

Résumons les sources de l’illusion du savoir

  1. Une massification de l’enseignement secondaire sans moyen supplémentaire a provoqué une disparité extrême des niveaux des élèves et une diminution de fait, de la qualité de l’enseignement ;

  2. Les programmes sont allégés, c’est-à-dire la quantité de connaissances fondamentales transmises est diminuée ;

  3. Le papillonnage rend très difficile, voire impossible, la structuration de l’esprit, et limite considérablement, voire empêche le développement des facultés propres à une bonne instruction : analyser, classer, hiérarchiser, relier.

  4. Les programmes se sont gonflés par l’ajout constant de nouvelles thématiques sociales, sociétales, de développement personnel… en parallèle de l’instruction des fondamentaux ;

  5. Le temps d’apprentissage global est considérablement diminué : une année et trois mois en moins au bout de la primaire ou presqu’une année complète de français ;

  6. L’enseignement a effectué un renversement des priorités : l’essentiel n’est plus de transmettre des connaissances, mais - en imposant la mémorisation de techniques simples et isolées les unes des autres – de développer des attitudes, des réflexes, des mécanismes, toujours dans des situations concrètes, appliquées et précises. Elle favorise les savoirs orphelins qui privent les élèves des bases de compréhension et de réflexion pour analyser des cas généraux.

Les compétences sur un exemple

Votre enfant ne sait pas très bien diviser parce qu’on ne lui a pas appris à généraliser cette opération aux nombres connus au collège. Au contraire, on lui demande d’utiliser une calculette. Par conséquent, on lui aura parlé de cette opération,uniquement du point de vue technique : comment poser une division à l’écrit pour obtenir un résultat de calcul. Mais pas du lien de cette opération avec la multiplication, avec la soustraction, de la signification de cette opération qui peut paraître complexe, de son utilité pour penser des partages, des groupements, des rapports, des comparaisons…

   Seul l’aspect de la division utile à un moment pour une activité donnée, pour résoudre un problème particulier est utile. Le reste non, donc on ne l’enseigne pas.

Concrètement... Concrètement...
C’est pourquoi votre enfant peut avoir une pastille verte ou un 15/20 sans avoir rien compris à la division. Ce qui explique d’ailleurs aussi pourquoi il faille revoir comment utiliser la division jusqu’en 3iè

Généralisation

    Et cette observation se généralise à tout ce qui peut s’enseigner en maths (mais pas que). Voici un autre exemple. Pas question de savoir ce qu’est un théorème, comment le démontrer, ses conséquences. Seul est utile l’application de ce théorème dans un problème donné.

  Ainsi, on n’apprend plus le théorème de Thalès pour lui-même (Dieu merci, finie l’époque antique, révolue et rétrograde où les élèves devaient savoir ce qu’est une mesure algébrique, ou lire un énoncé du genre « soit M \in (D), et M’ son projeté selon \delta sur (D’)…). On découvre ce nom et une formule pour obtenir la compétence : « comment calculer une longueur ». La même compétence est d’ailleurs développée avec le théorème de Pythagore et avec les notions de trigonométrie, abordées sur un coin de table...

Analyse des conséquences

   D’une part, les hypothèses, le vocabulaire adéquat, les implications, mais aussi les liens entre notions passent complètement inaperçus puisque les élèves ne voient que des situations standards, où il faut simplement appliquer une formule. C’est ce qu’on leur demandera d’ailleurs, à l’examen, parce que c’est très certainement ce qu’on leur demandera dans un futur métier.

   De réflexion, il n’est pas question. D’application « bête et méchante », oui, ce n’est même que cela. Dans ces conditions, peu de chance qu’il développe un esprit critique assuré et fiable si vous ne l’y aidez pas un peu...

Concrètement... Concrètement...
C’est pourquoi votre enfant peut avoir une pastille verte ou un 15/20 sans avoir rien compris au théorème de Thalès, ni aux autres, pourvu qu’il ait simplement su réécrire une formule, même sans savoir pourquoi.

Pas de mots, pas de pensée

   Malheureusement, une conséquence indirecte et dramatique, c’est qu’il y a des pans entiers de vocabulaire précis qui disparaissent. En français comme en mathématique, le vocabulaire connu et accessible est dramatiquement réduit. Il n’y a qu’à comparer la littérature jeunesse d’il y a quarante ans et d’aujourd’hui : les mêmes ouvrages, réédités dans une version très simplifiée

Cela est d'ailleurs explicitement recommandé dans les programmes. Exemple cycle 4 (5iè, 4iè, 3iè), 2020

« Pour être accessible au plus grand nombre, y compris les familles et les accompagnateurs du périscolaire, la mise en mots de certains énoncés mathématiques gagne à être reformulée dans le langage courant. »

  • au plus grand nombre : voir les conséquences de la massification de l'éducation. Mais ici, on précise bien que les parents doivent comprendre autant que l'enfant, ou plutôt, l'enfant pas plus que ses parents : aucune chance donc, pour des parents n'ayant pas fait d'étude que leur enfant en fasse...
  • La mise en mot... c'est l'écriture, enfin, à priori. Dans le langage courant : donc aucun vocabulaire spécifiquement mathématique, aucun symbolisme, un tant soit peu élaboré... Oui, il est définitivement révolu le temps de l'utilisation d'expressions barbares comme « soit x \in \mathbb{R}» ou « soit \overline{AB}, une grandeur algébrique » ou « l'identité remarquable » ou ...

Conclusion...

Pourtant, ce commentaire de Laurent Lafforgues fait réfléchir :

« On demande de répondre par oui ou non à certaines questions, mais on n'attend plus d'explications. »

Plus d’explication, donc plus de raisonnement, parce que ce n’est plus possible…

   Ainsi, la simplicité s'impose : répondre par oui ou par non. Voici la généralisation des Questions à Choix Multiples : on pose une question, et l’élève n’a plus qu’à choisir une réponse parmi quelques unes. Qu’il réponde par chance ou par élimination, ne se voit évidemment pas dans la note.

Concrètement... Concrètement...
C’est pourquoi votre enfant peut avoir une pastille verte ou un 15/20 sans avoir rien compris à une notion et en étant absolument incapable de mener un raisonnement un tant soit peu rigoureux.

Plaisir Des Nombres - III - Illusion de savoir - Novlangue

    Le vocabulaire précis disparaît, donc la pensée précise portée par ces mots disparaît à son tour. Car une pensée n’apparaît et peut être transmise que s’il y a des mots pour la communiquer. En mathématique, c’est pareil. Impossible de penser en mathématique si l’on ne possède pas le vocabulaire correspondant :

«  Vous ne saisissez pas la beauté qu’il y a dans la destruction des mots. Savez-vous que le novlangue est la seule langue dont le vocabulaire diminue chaque année ? […] Ne voyez-vous pas que le seul but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mot pour l’exprimer » Georges Orwell, 1984 (1948).



Plaisir des nombres - Décoration apaisante

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