Un enjeu personnel : le pari de l’enseignement

   Nous avons vu l'enjeu que représente pour la société l'enseignement des mathématiques. Étant un critère incontournable de classement des enfants, très jeunes, puis tout au long de la scolarité, les mathématiques sont devenues un peu plus qu'une matière parmi d'autres.   On aime, on n'aime pas… telle n'est plus la question aujourd'hui ! Mais comment mon orientation et donc mon activité professionnelle future sera-t-elle décidée ? Un enjeu social majeur donc... Mais n’est-ce que cela ? Il y a un autre pari à relever pour ceux qui instruisent...

La recherche et la démonstration de ce qui est vrai : le pari de l'honnêteté

Plaisir des nombres - René Descartes, le pari de la supériorité du raisonnement sur les passions en mathématique   Cette question est cruciale, et pourtant, ce n'est pas la seule dimension qui se joue dans l'enseignement des mathématiques.

   En effet, au-delà de la considération des autres, de la confiance que l'on acquiert ou que l'on perd, l'enseignement des maths apporte une formation de l'esprit indispensable et fondamentale.

   C'est l'un des aspect de cet apport de la méthode mathématique que Descartes décida un jour de 1619 de généraliser à tous les autres domaines, à toutes les branches du savoir humain. Sa vision est devenue si fondamentale, si constitutive de toutes les branches de la science qu'on en a tiré cet adjectif : cartésien.

  Mais qu'est-ce-que les mathématiques ont donc apportées qui soit si différent ? Quel est le pari que René Descartes a voulu relever finalement ?

Observation et outils intellectuels pour un pari de taille

   Nous pouvons observer beaucoup de choses autour de nous et cette observation est fondatrice de notre évolution. Par exemple nous observons une large forêt faite de différentes essences. C'est beau et c'est utile si on a les outils pour en tirer quelque chose. Les outils matériels, comme une hache, une scie ou autre.

   Mais pas que : si l'idée de la construction d'un abri ou d'une maison n'émerge pas, ma hache ne me servira pas. En faisant abstraction de l'aspect brut des arbres encore sur pied, je vais concevoir mentalement les utilisations possibles en fonction de l'essence, de la taille des arbres…

Formation de concepts... le pari de la compréhension rationnelle de ce qui nous entoure

   Ce qui apparaît ainsi devient des concepts. C'est-à-dire des idées générales qui permettent de se faire une idée globale. Je détaille cela dans cet article.

   Et les mathématiques joue un rôle fondamental parce qu'elles ont fourni les outils intellectuels qui permettent l'analyse de nos observations, la mesure du monde matériel et l'apparition de liens cachés à nos sens au premier abord. Vous voyez l'enjeu...

   Comme le dit Laurent Lafforgues, médaille Fields en 2002 et membre de l'académie des sciences  :

« Les mathématiques rendent explicite ce qui existe mais n'est pas visible. »

   Par exemple, l'observation des étoiles a été faite depuis très longtemps par différents peuples. Mais c'est l'analyse de la régularité spatiale de certaines apparitions, de certains mouvements qui a permis de concevoir notre système comme un tout global dont chaque partie est influencée et influence les autres. L'analyse avec des outils mathématiques. Cela a permis aussi de mesurer des régularités dans le temps. Et de faire des liens entre les étoiles, qui paraissent si immobiles et notre Terre qui le paraît aussi, mais tourne. Sans outils mathématiques, cette évolution n'aurait pas eu lieu.

L'esprit critique - La recherche de ce qui est vrai

   La science mathématique s'est développée en recherchant ce qui est vrai et en développant les outils nécessaires pour la démonstration de cette existence.

Est-ce qu'une affirmation est vraie ? Citons le principe fondateur de René Descartes (Discours de la Méthode) :

« Le premier [principe] était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle, c'est-à-dire d'éviter soigneusement la hâte et le préjugé[...] ».

Plaisir des nombres - Le pari de la vérité mathématique   Imaginez qu'un habitant de cette forêt vous affirme qu'il est possible de fabriquer une maison à cinq étages aussi large qu'un fleuve… Est-ce possible ? Y croyez-vous ? Car cet homme... qu'en sait-il ? C'est intéressant, et ça pourrait être très utile, mais sur quoi se base cette personne pour l'affirmer ?

   Après avoir construit une première maison, qui a tenue ou pas... ou partiellement... Les habitants ont développés des outils - matériels et intellectuels - et ont compris, par exemple, que certaines mesures, certains rapports, certaines règles de construction particulières permettront de faire tenir une maison.

   Les suivants n'ont pas à tout retester : on leur a légué des idées déjà vérifiées. En se basant sur celles-ci, ils en inventent de nouvelles.

La transmission, le pari de l'enseignement

   Avec le temps, cette connaissance est transmise. Enjeu de transmission donc. Et quelques générations plus tard, vos arrières-arrières-arrières petits-enfants n'ont plus besoin de construire une maison identique pour vérifier. La chose est admise : les outils matériels, les outils intellectuels - les concepts - et les étapes pour la construire sont connus et enseignés. Habitent-ils cette maison ? Peut-être, peut-être pas… mais peu importe, les outils développés pourront être utilisés pour autre chose - pour des ponts par exemple.

   C'est la raison pour laquelle aujourd'hui tous nos enfants apprennent ce que sont les décimaux – inconnus dans l'Antiquité, les nombres qui peuvent être négatifs, les fonctions, les suites…. Tous ces outils ont été si bien démontrés et admis au cours des siècles passés qu'ils sont « simplement » transmis aujourd'hui.

Pas de hâte, mais une analyse rigoureuse… le pari de la formation  intellectuelle

   C'est-à-dire éviter à tout prix la hâte du jugement qui nous fait conclure rapidement et souvent trop vite. Telle chose est vraie et telle autre est fausse, en est-on bien sûr ? Cette hâte qui nous induit très souvent en erreur par manque d'analyse de la chose elle-même, des sources ou des circonstances.

   Ne nous laissons pas influencer, nous disent les mathématiques. Mais au contraire, jugeons à la lumière des faits et des liens logiques qui les relient entre eux, ce qui peut être vrai et ce qui ne peut pas l'être. Par les faits, établir ce qui ne peut pas être mis en doute.

   Mais c'est aussi éviter soigneusement les préjugés qui nous portent à conclure que ce qu'on nous dit est vrai. Souvent  parce que cela correspond à ce que nous croyons ou voulons croire. En mathématiques, rien de tel, car les démonstrations s'appuient sur des successions de faits tous aussi logiquement déduits les uns des autres. Les émotions ou les passions ne sont pas des arguments recevables en mathématiques et n'influencent pas le résultat d'une démonstration.

Être ou devenir objectif :

  La voie royale pour aboutir à cette connaissance sans hâte et sans préjugé est de rester distant par rapport à ce que l'on étudie. Ne pas rester subjectif, mais s'éloigner de l'objet d'étude. C'est rendre objectif, ce qui, sans cela, dépendrait d'un jugement humain. Par essence, faillible et changeant.

   Apprendre les mathématiques, c'est aussi apprendre à mettre cette distance indispensable à la réflexion entre nous et ce que l'on étudie. Ne pas s'enfermer dans une passion, dans une croyance, mais au contraire, ouvrir le plus largement possible notre esprit à toute hypothèse susceptible d'être analysée.

La vérité n'est pas une opinion...

   Selon la rigueur mathématique qui met l'esprit à l'épreuve, si l'on croit à une hypothèse, alors, elle ne peut être affirmée comme juste sans avoir été démontrée, prouvée, argumentée. Rien n’est vrai qui n’a été reconnu formellement comme tel. La démonstration de la vérité est fondatrice dans ce domaine. Une découverte a été faite, une question se pose, une réponse ou un nouvel outil apparaît mais pour être acceptées et tenues pour vraies, cette découverte ou cette réponse doivent être mises à l'épreuve. Elles doivent être confrontées au raisonnement aussi rigoureux que l'esprit humain en est capable.

   Ce principe constitutif des mathématiques est devenu, par René Descartes fondateur de notre science moderne : aucune connaissance n'est acceptée, si elle n'a pas été démontrée par un raisonnement rigoureusement logique. Et mis à l'épreuve, pour ce qui est des sciences physiques, de la mesure des grandeurs par lesquelles nous représentons le monde environnant. C'est-à-dire que chaque étape découle logiquement de la précédente par une relation de cause à effet indiscutable.

   En mathématiques, pour convaincre, il n'y a que le raisonnement logique et rigoureux qui est valide.

Comme le dit Laurent Lafforgues :

« Cela demande […] que le développement lui­-même se plie à des règles si rigoureuses qu'elles le rendent en principe infaillible. »

Plaisir des nombres - Un vrai pari pour l'enseignement des mathématiquesL'enjeu de l'héritage

   L'esprit de Descartes s'est imposé dans toutes les sciences qui ont adoptées depuis ce qu'on nomme la « démarche scientifique ». À ces mots sont souvent associés ceux de « logique », « rationnel », « raison ». Voire même l'expression « c'est mathématique » pour désigner ce qui ne peut être démenti, ayant été démontré de façon parfaitement rigoureuse, non émotionnelle, par des faits objectifs.

   Quelle belle formation de l'esprit pour se préserver des mensonges, de la manipulation, des on-dit environnants… Afin de développer un esprit honnête qui n'accuse pas à tord. Mais aussi pour préserver la curiosité naturelle et l'orienter vers la recherche de la vérité. C'est un vrai pari que doit relever l'enseignement des mathématiques. Mais est-ce le cas aujourd'hui ?

Pour cela, il faut que la rencontre avec les mathématiques soit heureuse. Et c’est possible : en tout cas, moi j'y crois !

Plaisir des nombres - Commentaires

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