L’écriture mathématique ou la manipulation, quel choix ?

   Depuis le début de l'accompagnement, les enfants explorent les nombres et découvrent leurs écritures, leurs relations et leurs propriétés, les opérations, et les calculs grâce aux réglettes. Elles aident dans ces découvertes de façon merveilleusement simple et efficace. Et tranquillement, à son rythme, chaque enfant s'approprie des connaissances indispensables. Et ainsi devient petit à petit autonome dans sa pensée. Mais tout au long de l'accompagnement, nous parlons aussi de l'apprentissage de l'écriture mathématique. Comment l'articuler avec la manipulation ?

Le but de l'écriture mathématique : l'autonomie

   Pour ceux qui utilisent les réglettes, leur efficacité dans l'apprentissage n'est plus à démontrer. Pour autant, nous l’avons dit, les réglettes sont un outil et pas une prothèse.

   En effet, la différence entre un outil et une prothèse, c’est que l’outil aide ponctuellement à mieux comprendre ou à mieux faire. La prothèse remplace un de nos organes et fonctionne à sa place

   Par conséquent, elles ne sont pas destinées à devenir indispensable pour calculer. Mais au contraire, elles permettent d’amener votre enfant à posséder des bases si solides et si claires, qu’il est ensuite capable de découvrir d’autres nombres et d’autres relations. Tout seul. Sans leur aide, grâce aux images mentales qu'il se sera créé. Alors, à ce moment, il devient autonome.

L'oralité d'abord, l'écriture mathématique en renfort...

   Comment cela advient-il ? Par la parole d'abord. Comme le dit et redit Stella Baruk depuis les années 70, les mathématiques se parlent parce qu'elles se pensent, en premier. On ne le redira jamais assez, la parole est ce qui développe la pensée.

La pensée
L’aptitude à penser, et notamment à développer des pensées abstraites est fondamentalement liée à la parole.

   En mathématique, la dimension supplémentaire de la conceptualisation peut se développer lorsque la parole devient l'alliée des mains. C'est la manipulation.

   Évidemment, ce travail-là est incontournable, surtout en mathématique. Et pourtant, à un certain moment, le travail avec les mains ralentit la pensée. Parce qu'elle a acquit de l'agilité, de l'assurance, des connaissances, elle devient plus rapide. 

   Il devient alors nécessaire de la soutenir d'une autre manière que seulement par la manipulation d'objets concrets. 

   Ce soutien, c'est encore la main, d'une certaine manière qui l'apporte. Mais plus rapide, plus simple, beaucoup plus efficace, cet outil permet de prendre petit à petit son autonomie par rapport au matériel. Et c'est l'écriture mathématique.

Un basculement nécessaire

   Ainsi, prenons un exemple concret. Le cas de l'égalité des longueurs composées différemment, les tableaux.  Lorsqu'on cherche toutes les longueurs identiques à un petit nombre - ou une réglette courte - on construit rapidement la structure qui permet de toutes les voir d'un coup, car il y en a assez peu. En effet, par l'addition, il y a par exemple, quatre compositions différentes pour obtenir le nombre trois. Ou  seize pour obtenir le nombre cinq.

Plaisir des nombres - Decomposition tableau de 12 - Indépendance de la construction

L'ensemble des longueurs égales au nombre douze reste incomplet avec les réglettes, car le stylo a pris le relais.

   Par contre, pour les plus longues réglettes et, à fortiori, pour les nombres supérieurs à dix, le nombres de combinaisons possibles devient évidemment très grand. Et tout décomposer avec les réglettes peut devenir long et fastidieux, si cette décomposition reste mécanique. Et dans ce cas, elle risque alors de devenir « automathique », comme le dit très clairement Stella Baruk.

Quand l’écriture prend son envol...

   Sauf si ce défi est un prétexte à la réflexion, et à l'apprentissage. En effet, à ce stade l’écriture prend tout son intérêt et devient très importante. Car elle devient facilitatrice de la pensée. C’est-à-dire qu’elle permet à l’esprit de concevoir toutes les possibilités de décomposition, en les fixant concrètement de façon bien plus légère et rapide que les réglettes, ou tout autre support matériel.

   À partir de ce stade, l’écriture remplace progressivement les réglettes. Et cela arrive lorsque l’esprit est suffisamment en confiance. Confiance en ses propres capacités. Confiance en ses connaissances.

Plaisir des nombres - Decomposition sur feuille

On recopie d'abord ce que nous montre les réglettes, puis on va plus loin, grâce à ce que l'on connaît déjà (en bas à droite).

   Ainsi, l’écriture rend concrète une idée en la fixant sur papier. Tout comme la main posait, par exemple, la réglette rouge contre la jaune, pour comparer avec la noire. Puis cette idée sera analysée et jugée vraie ou non. Tout comme les combinaisons de réglettes étaient observées enlevées, changées si elles ne répondaient pas à l’attente.

   Et enfin, le cerveau se libère de ce qui a déjà été écrit pour continuer à concevoir ce qui reste à écrire. Le cerveau est lors disponible pour les autres cas à traiter. Ainsi, tout se passe mentalement, grâce aux images mentales.

À ce stade, l'enfant acquiert une grande autonomie, car il est capable de penser, de faire des hypothèses, de les vérifier avec ce qu'il sait uniquement. Sans l'aide d'un matériel.

L'écriture mathématique remplace progressivement les réglettes

   Reprenons l'exemple des longueurs identiques, regroupées en tableaux. Ces structures sont une étape importante. Elles permettent, depuis le début du travail, de bien visualiser comment se décompose un nombre. Ou quelles sont les relations entre plusieurs nombres. Ensuite, selon, l’aisance de votre enfant, il y a alors plusieurs cas :

  • Au début de l'accompagnement, votre enfant a besoin de les construire ligne à ligne à son rythme, sans immédiatement faire de lien avec ce qui a précédé. Votre rôle est alors de l’encourager à conscientiser ces liens. Par exemple, en l’amenant à penser la prochaine composition à mettre avant de la poser. Et ceci, après l’avoir laissé construire un bout du tableau. Ou bien en lui demandant de dire ce qu'il va choisir comme longueur et pourquoi. De manière à travailler le rappel de ces connaissances et l’utilisation des images mentales.
  • Puis, petit à petit, votre enfant change d'attitude : il commence à construire le tableau seul. Mais se rend compte qu’il retrouve des cas déjà vus. Il se souvient de ces compositions. Alors encouragez-le à écrire la décomposition à laquelle il pense, avant de la poser. Et demandez-lui de vérifier ses compositions, au moins pour quelques unes.
  • Enfin, votre enfant ne souhaite pas construire le tableau car il sait comment se décompose le nombre. Et bien, c’est super, demandez-lui alors d’utiliser l'écriture mathématique pour traduire tout ce qu’il a en tête. Et de le vérifier à partir de ce qu'il sait.

L'écriture mathématique est comme un envol droit devant vers l’aisance

   Le but de l'apprentissage mathématique - et des accompagnements proposés - est bien de pouvoir concevoir toutes les propriétés, décompositions, d’un nombre, relations entre les nombres via les opérations sans les réglettes.

   Car évidemment, il devient impossible d’utiliser les réglettes pour de grands nombres. D'ailleurs, tout devient impossible en mathématique si l'enfant reste dépendant de la parole d'un autre et d'un matériel concret. Que ce soit pour trouver les décompositions, les diviseurs, les facteurs communs, les multiples… il est indispensable d'emprunter une autre voie : celle que les réglettes nous aurons si magistralement préparées. L'autonomie de la pensée.



Plaisir des nombres - Commentaires sur le choix : écriture ou manipulation ?

2 thoughts on “L’écriture mathématique ou la manipulation, quel choix ?”

  1. Bonjour Mireille,

    En mars dernier, vous m’avez généreusement proposé d’échanger avec moi sur la façon d’utiliser les réglettes Cuisenaire. Nous y avons passé 3 heures de façon très passionnée, sans voir le temps s’écouler. C’était un riche moment pour moi. L’année s’achève bientôt, et j’ai passé de nombreuses séances à utiliser ces fameuses réglettes avec mes élèves par la manipulation bien évidemment et surtout la verbalisation des notions appréhendées. J’en suis pleinement ravie, même s’il s’avère être un travail de très longue haleine. En effet, les élèves éprouvent des difficultés à mettre en mots ce qu’ils manipulent. Mais avec le temps, ils y parviennent.
    J’ai utilisé votre séquence sur les compléments à 10 qui est extrêmement bien détaillée et qui permet d’aborder les notions fondamentales très progressivement. Je prévois de me plonger, au cours de l’été, dans votre lire « Le Potentiel des réglettes » pour poursuivre l’apprentissage des mathématiques avec les réglettes Cuisenaire.
    Je vous remercie pleinement du temps si précieux que vous m’avez accordé.
    Pauline

    1. Bonjour Pauline,

      Merci infiniment de votre retour ! Quelle joie de lire votre témoignage.
      Oui, c’est un travail de longue haleine : une bonne formation des esprits ne se fait ni en un jour, ni en un an.
      J’ai déjà observé également que les difficultés orales sont énormes aujourd’hui avec les petits, et si l’on n’y prend pas garde – restent à l’identique pendant toute la scolarité. Le manque de vocabulaire et l’incapacité à s’exprimer clairement, aujourd’hui, pour des collégiens sont effarants. C’est pourquoi j’insiste tant sur l’oral et le vocabulaire : il faut aider les plus jeunes à l’acquérir et leur donner l’exemple en est le meilleur moyen.
      Et surtout n’hésitez pas à me contacter pour discuter de tel ou tel point, c’est toujours un grand plaisir pour moi et un moyen aussi, indirect, d’aider les enfants en partageant mon expérience.
      Bonne lecture !
      Mireille

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