« Je n'ai pas l'esprit assez abstrait ! » est une des critiques les plus entendues au sujet des mathématiques. Pourtant, d'une part, l'abstraction est innée (vous recevrez l'article qui en parle, si vous vous êtes inscrit dans la colonne de droite). Et heureusement, car sans cette capacité les jeunes enfants ne développeraient rien du tout car ils ne comprendraient aucun des symboles qui les entourent.
Et d'autre part, l'abstraction se développe. Comment ? Dans la vie de tous les jours, c'est très facile : supprimez le gps, jouez aux échec, aux dames, philosophez sur la vie, explorez la classification des êtres vivants... Et tout cela marche bien sûr très bien avec les enfants.
En mathématiques, c'est très simple aussi : profitez pleinement des réglettes Cuisenaire, en passant d'abord par une phase non-numérique. Qu'on appelle parfois phase qualitative. Dans cette phase, votre enfant met en place toute une structure de pensée autour des nombres. Il ne s'en rend pas compte, et c'est très bien comme ça. Il fait, c'est tout. Pour lui, c'est la suite logique des jeux libres vu en première étape. Il va découvrir ce que sont les symboles, les concepts mathématiques, tout simplement, tout naturellement.
Il entre dans un monde abstrait.
Pour que son apprentissage soit efficace, amenons-le à découvrir d'abord les relations entre les nombres. Mais attention, sans aucun nombre, ni chiffre.
Sommaire :
Apprendre les nombres… sans nombres ?
Cela paraît paradoxal. Et pourtant, nous allons nous servir dans cette étape d'une des forces des réglettes : les symboles.
Comme cet article le présente, les réglettes symbolisent les nombres et leurs relations, mais n'ont pas de valeur fixe. Tout comme les nombres sont cachés dans la nature, ils sont portés par les réglettes. Comme cette coquille fossilisée d'ammonite dont les proportions et la forme générale sont tellement régulières. La curiosité des êtres humains les ont poussés à chercher comment décrire cela. Et ils ont trouvé. Les proportions sont structurés autour d'un nombre qui les a tellement émerveillé qu'ils l'ont nommé : le nombre d'or.
Précisons un peu quand même.
Sans aucun nombre signifie que nous n'allons pas nommer les nombres. En tout cas pas de suite. Ainsi, les réglettes seront repérées par leur couleur, leur longueur en premier.
Entendons-nous bien il ne s'agit pas d'une interdiction. Il n'est pas interdit de prononcer le nom d'un nombre pendant la manipulation des réglettes.
Seulement, pour profiter pleinement des symboles, n'amenez pas volontairement ces noms. Du moins, pas au début. Maintenant, si l'enfant vous fait remarquer que la longueur d'une rouge vaut celle de deux blanches, eh bien, parfait ! Il est observateur. Et il a perçu l'essentiel, le rapport entre les longueurs des deux réglettes...
Et toute découverte d'un enfant doit être accueillie et valorisée pour ce qu'elle est : le résultat de l'observation et de la réflexion. Votre enfant ne perd pas de temps, laissons-le aller à son rythme. Valorisez le cheminement intellectuel plus que le résultat en lui-même.
Et sans chiffre ?
Mais aussi, pas de chiffre. Quelle différence entre le chiffre et le nombre ? Le chiffre est aux nombres, ce que la lettre est au mot. Le support écrit d'une notion, d'un concept, d'une idée, celle de nombre. Les symboles « 2, 3, 4... » sont ceux que nous avons finalement retenus, après beaucoup de tâtonnement à travers les âges, pour désigner les nombres deux, trois, quatre...
Pourtant, avant de savoir écrire, il faut savoir ce que l'on veut écrire. Pensons d'abord et puis écrivons ensuite ce que nous avons pensé. C'est l'ordre que je propose dans l'accompagnement.
La pensée précède l'écrit
Toujours. Dans tous les domaines d'ailleurs. Parce que l'écrit n'est pas une fin en soi. C'est un outil. Développé tardivement par les humains, d'ailleurs. Ce n'est qu'après des dizaines de milliers d'années d'échanges, de commerce, de culture et de communication et de développement des sociétés, que le besoin s'est fait sentir d'écrire.
Cet ordre est essentiel. Parce que précisément, il correspond aux degré de développement de l'abstraction. Par exemple, si je dis que les Coréens utilisent le hanbok une fois dans l'année, que c'est important pour eux, pour telles et telles raisons… qu'on le fabrique avec telle technique… que son histoire remonte à telle année… Eh bien à la fin, saurez-vous me dire ce qu'est le hanbok ? Non, vous n'aurez pas saisi l'idée. Un chapeau ? Une arme ? Une décoration ?…
Un mot sans lien avec un concept et sans aucun sens ne livre pas l'idée qu'il porte… Et savoir écrire des symboles choisis pour en parler ne vous avancera pas beaucoup.
Par contre, si je vous décrit par le menu un vêtement traditionnel fait de plusieurs couches de longueurs différentes, partant d'une sorte de robe pour arriver à un manteau, brodées, décorées de motifs floraux etc etc. Ainsi, lorsque vous lirez le mot hanbok, vous aurez une représentation mentale précise de ce que c'est.
Vous aurez perçu ce qu'est cet objet, sa place dans son environnement, son utilité, comment on s'en sert… Dans ce cas, le mot s'ancrera sans difficulté parce qu'il sera rattaché à une idée. Il y aura un lien. Et alors seulement, savoir l'écrire pourra vous servir. Vous êtes alors capable de concevoir un objet, mentalement, que vous n'avez (peut-être) jamais vu ni touché... C'est ça l'abstraction...
Vrai pour tout ce que l'on apprend !
Par conséquent, utilisons le même procédé avec les nombres. Présentons d'abord ce qu'est cet objet, sa place son utilité et comment on s'en sert. Et tous les symboles comme les chiffres 2, 3, 4… se comprendront ensuite, sans problème.
Vraiment, insistons sur le fait que l'écrit n'est pas une fin en soi : il permet de transmettre ou de conserver une pensée, une idée, une croyance, une connaissance… bref, le résultat d'un travail intellectuel.
Pour nos enfants, il est tout à fait primordial de savoir, par exemple, que l'addition traduit l'augmentation de quantité. En tout cas au début. Qu'on l'écrive avec le signe + vient ensuite, dans la démarche. Bien entendu, une fois la notion comprise, les symboles font parti intégrante de ce qui doit être su sans hésitation.
Un nombre tout seul… qu'est-ce que c'est ?
Comme le fait remarquer Marc Le Bris dans sa conférence « L'école primaire, les origines de l'échec » à l'Institut de France, la notion de nombre comme une quantité seule n'est pas du tout intuitive. Elle s'acquière lentement au fur et à mesure du développement de l'enfant. Par exemple, quatre chapeaux est une notion claire, observable et concrète pour les enfants. Mais différente de « quatre » qui est quelque chose d'abstrait. Ce nombre tout seul ne veut pas dire « quatre objets, quels que soient les objets » pour un jeune enfant.
Parce que « quatre chapeaux » est très concret et que « quatre, quel que soit ce dont on parle », c'est très abstrait...
Il faut donc l'amener à faire abstraction de l'objet pour concevoir un nombre tout seul. C'est ce que font les réglettes qui permettent de manipuler les nombres en eux-mêmes. Nous insisterons donc suffisamment au cours de l'accompagnement sur le concept de nombre. Ainsi que sur les relations entre eux.
Parler, parler, parler…
Et tout cela à l'oral, avec des phrases complètes et structurées. Il est très important de parler à l'enfant, en mathématiques, comme en français. Par exemple, au lieu d'écrire directement « 2 + 3 », au début en tout cas, il est plus structurant pour l'enfant d'entendre : « j'ajoute deux à trois » ou « deux plus trois ».
Ensuite, seulement nous passerons au « codage » du concept, c'est-à-dire à l'écriture avec des symboles. Donc, à un niveau supérieur d'abstraction. Tout comme l'enfant va apprendre ce que recouvre les idées de « maman » et de « papa » bien avant de savoir comment les écrire avec des mots.
L'oral est primordial en mathématique, même au collège et au lycée. La tendance générale est malheureusement de passer immédiatement aux symboles écrits et à ne plus ou très peu revenir à l'oral. Mais l'ordre doit être respecté au début de l'apprentissage : on parle d'abord, avec des phrases - complètes ! - on écrit ensuite avec des symboles.
Une lettre comme symbole
Ceci étant dit, bien sûr, un jour arrivera où votre enfant devra apprendre à écrire ce qu'il fait. Il le demandera sûrement de lui-même d'ailleurs. Car c'est un vrai plaisir de pouvoir montrer son travail. En fait, les enfants sont capables d'une grande abstraction et comme c'est inhérent au développement intellectuel de l'être humain, ils se complaisent beaucoup dans ce monde.
À cette étape, nous choisissons alors une lettre pour symboliser les réglettes, parce qu’il y a une certaine logique et un grand intérêt à cela.
Une logique
Désigner la réglette jaune par un j paraît assez naturel. Il n’est pas besoin de chercher plus compliqué. C’est un réflexe assez courant aujourd’hui dans notre société pour abréger un mot que de prendre son initiale. Les grammairiens choisiront « v » pour désigner le verbe, les historiens « m.a. » pour le Moyen Âge, les mathématiciens « e » pour la fonction exponentielle, les biologistes « adn » pour acide désoxyribonucléique, les écologistes « ogm » pour… Enfin, les exemples fourmillent. Alors autant habituer votre enfant à ce système.
Un intérêt
Outre l’intérêt évident qui découle de ce qui précède, il en est un autre tout à fait dans notre sujet. En mathématiques, les lettres sont très utilisées dans diverses situations. Voici quelques exemples : remplacer un nombre que l’on ne connaît pas au moment de faire un calcul. Remplacer un nombre qui peut varier en fonction des données du problème. Donner un nom à un résultat pour le réutiliser dans plusieurs calculs différents…
Et par ailleurs, il n'y a pas que des lettres. Beaucoup de signes interviennent comme symboles de concepts, comme l'infini par exemple. Ainsi, le travail avec des lettres au début va permettre à votre enfant de s'habituer aux symboles. Ensuite, l’introduction des autres symboles nécessaires en mathématiques ne lui posera pas plus de souci que celle des lettres.
En bref, ne pas être dérouté lorsque des lettres ou d'autres signes sont mélangés aux nombres sera extrêmement utile à votre enfant plus tard. C'est une initiation à l'algèbre. Et pas besoin de faire des grandes études pour cela, puisque les programmes du collèges abordent ces situations.
Donc, profitons de la chance que nous offrent les réglettes et habituons les jeunes à ces écritures. Ils ne s’en porterons que mieux plus tard.
Par ailleurs, pour rassurer ceux qui s’inquiéteraient de ces symboles, je donne une dernière précision. Cette étape ne sera de toute façon pas la plus longue (selon le rythme de l'enfant), les nombres seront tranquillement introduits. Et au fur et à mesure du développement de l'abstraction des enfants, les lettres disparaîtront et d'autres symboles, bien plus abstraits apparaissent. Des chiffres, des signes... Bref, des mathématiques, quoi !
Alors, on est paré !
Voilà le parcours pas à pas de l'accompagnement qui amènera l'enfant à trouver les relations entre les premiers nombres. À rencontrer les premiers symboles. À s'approprier les concept d'addition, de soustraction, de multiplication et de division. Et pas d'inquiétude : ce que l'enfant apprend et comprend à l'oral lui reste très longtemps en mémoire sans difficulté.
Pour finir, il est important de rappeler la notion de rigueur que l'on va introduire très tôt. Parler, oui, beaucoup. Avec des mots précis et justes.
Voyez l'accompagnement pas-à-pas : informations et détails sur le parcours...
Bonjour
Merci pour cet article très instructif
Comment procéder pour introduire les lettres j r v vf en reference aux reglettes.
Doit-on faire un support ou les 10 reglettes seraient accrochés avec leurs signes dissous ?
Bonjour,
Oui, introduire les lettres se fait un peu comme un jeu. Je vous présente cette découverte dans l’article à venir qui s’intitule : Des lettres comme symbole des réglettes (voir ici, si vous souhaitez y aller de suite).
vous verrez tout y est expliqué !
Bon travail avec vos enfants,
Amicalement,
Mireille
Bonjour, pouvez-vous nous dire si votre formation pourrait concerner des enfants de 7 et 10 ans ? Que deviennent leurs connaissances en maths s’ils vous suivent ?
Bonjour,
Tous les enfants, jusqu’au collège, peuvent tirer un grand bénéfice à découvrir les mathématiques par les réglettes de Cuisenaire. L’accompagnement fait le pari que tous les parents peuvent aider leurs enfants et que tous les enfants peuvent réussir. Donc, si vos enfants sont à l’aise, le début sera facile pour eux et leur laissera le temps d’approfondir car il découvriront une autre manière d’approcher les nombres. S’ils ont des difficultés, ils auront alors la chance de reprendre les bases par la manipulation.
Pour leurs connaissances, de deux choses l’une. Soit elles sont solides et ce qui est compris est compris, ça ne bouge plus. Soit, c’est peu sûr et ça ne peut être que bénéfique de revoir ce qui n’est pas bien compris, surtout avant l’entrée au collège.
On peut discuter plus en détail de votre situation, si vous le souhaitez.
Parfait, pouvez-vous nous laisser un lien vers votre formation ?
Bonjour,
Plus de détails dans l’onglet Accompagnement et le lien sur cette page.